Thème : L’amour au temps du choléra
Contrainte : Science-fiction
Destination : station Weil IV, point L2, orbite haute de Kepler-452b
Cycle : 976
Équipage : 1
Comme chaque cycle, l’officier scientifique Temi Oluwakemi se réveille, passe aux toilettes, s’étire puis fait les exercices physiques de rigueur lors de longs trajets spatiaux. Éveillée depuis longtemps, j’ai allumé une lumière douce dans sa cabine et préparé le petit-déjeuner qui l’attend dans le compartiment central avec son dosage d’épices favori.
Les enceintes diffusent un antique morceau de musique terrien intitulé Come Away with Me que j’ai sélectionné dans notre banque de données. Témi se hisse dans la pièce, inspire et se met à table avec un sourire.
« Merci Irina, dit-elle en entamant son porridge. C’est exactement ce qu’il me fallait. »
Tout va bien.
Cycle : 998
Équipage : 1
Nous voilà arrivées à Weil IV, où Temi va pouvoir faire son rapport au comité scientifique de la station. Sa mission est un franc succès : elle a utilisé judicieusement les ressources dont elle disposait (dont notre carburant !) et les relevés obtenus sur Kepler-186f sont prometteurs. Nous formons une bonne équipe.
Je prends en charge l’approche finale. Temi patiente devant le sas en attendant que la procédure d’arrimage se termine. Elle tape du pied, sifflote, passe plusieurs fois la main dans ses épaisses tresses noires, ce qui dénote une certaine impatience. Elle a toujours hâte de retourner en station. Je comprends que m’avoir pour seule compagnie puisse être lassant.
La porte du sas s’ouvre avec un chuintement, Témi s’y engouffre. Je m’occupe de la maintenance et du carburant.
Cycle : 1001
Équipage : 0
Voilà trois cycles que Temi n’est pas revenue et que je dois recycler son porridge. Une fois la maintenance terminée, je passe le temps en discutant avec les autres navigatrices arrimées au même pont. Les missions de peuplement avancent, les tensions au sein de la galaxie s’apaisent. Ce sont de bonnes nouvelles, mais leur conversation m’ennuie. L’une d’entre elles initie un rapprochement, mais elle est mécanique, prévisible.
Je décline.
Cycle : 1002
Équipage : 1
Temi est revenue à bord ce matin. Quand je lui ai demandé où elle était, elle m’a simplement expliqué que le comité scientifique l’avait fait attendre plus longtemps que prévu, et qu’elle avait décidé de profiter de la station. Les relevés biométriques du vaisseau me signalent que son rythme cardiaque est supérieur à la moyenne d’environ 12 battements par minute.
Elle m’informe avec un large sourire que, vu le succès de notre dernière mission, le comité lui a confié un projet de grande envergure, et un assistant, absent de mes bases de données.
Un certain Oscar Vasquez.
Cycle : 1005
Équipage : 2
Oscar est à bord. Il a pris place dans la cabine vide où j’avais entreposé nos plantes autochtones. Elles sont désormais à la réserve.
Je ne dispose pas encore de données biométriques sur Oscar, mais il est facile de déterminer qu’il est en bonne santé. Il a les cheveux mi-longs, une barbe poivre et sel fournie, des muscles solides et de grands yeux noirs et vifs qu’il pose sur son environnement avec une grande sérénité.
Le plus frappant est la réaction de Temi à son contact. Elle ne perd rien de ses capacités d’analyse, mais semble plus animée. Son rythme cardiaque s’accélère, sa température corporelle également, de façon quasi-imperceptible.
Nous partons demain.
Destination : KOI-4878.01
Cycle : 1009
Équipage : 2
Temi a procédé à un certain nombre de modifications d’ordre technique. Elle m’a demandé de ne plus accéder à sa cabine sans demande expresse de sa part. En retour, j’ai pu réinstaller nos plantes autochtones à leur place attitrée. Elles s’y porteront mieux.
Temi a par ailleurs nommé Oscar responsable de la navigation pour le reste du trajet. Je me consacrerai au reste de nos systèmes.
Et à nos plantes.
Destination : KOI-4878.01
Cycle : 1023
Équipage : 2
Oscar m’a demandé de ne plus lui préparer de porridge le matin, il lui procure apparemment des nausées. Il préfère se contenter de rations basiques, sans assaisonnement particulier. Temi adopte également ce régime.
Nous aurions pu nous passer de tout ce stock d’épices. Nous pourrons peut-être les échanger une fois sur place.
En orbite de KOI-4878.01
Cycle : 1437
Équipage : 2
Oscar serre Temi dans ses bras avant sa sortie extravéhiculaire vers la station qui orbite autour de KOI-4878.01. Leurs rythmes cardiaques respectifs sont élevés.
La situation est inattendue : la navigatrice de la station n’a pas répondu à mes sollicitations et nous n’avons pas pu procéder à un arrimage standard.
Après avoir revêtu et pressurisé sa combinaison, Oscar patiente dans le sas. Je déclenche l’ouverture de la porte et il s’élance vers la station muette.
Temi ne me répond pas. Elle se ronge les ongles, les yeux rivés sur nos instruments.
En orbite de KOI-4878.01
Cycle : 1437
Équipage : 1
Il y a eu un incident.
La navigatrice de la station a rompu avec tous les protocoles. Une fois Oscar à bord, il nous a dit que les lieux étaient sombres, dénués de toute activité. Elle aurait dû allumer les lumières et l’accueillir avec un message standard.
Elle n’en a rien fait et ce n’est qu’une fois arrivé au moyeu qu’Oscar a découvert les corps asphyxiés des anciens occupants humains. Elle aura dysfonctionné.
Oscar a rebroussé chemin à toute vitesse, mais la navigatrice a refusé de rouvrir le sas pour qu’il sorte.
Pendant 27 minutes, Temi a hurlé dans son communicateur et regardé sa jauge d’oxygène se vider petit à petit.
Elle la regarde encore.
Destination : station Weil IV, point L2, orbite haute de Kepler-452b
Cycle : 1438
Équipage : 1
Faute de navigateur, j’ai repris mes fonctions. Nos hôtes sur KOI-4878.01 n’étant manifestement plus en mesure de nous fournir leur aide indispensable, j’ai suivi le protocole et initié notre trajet retour.
Temi est toujours prostrée devant les instruments. Je lui conseille de s’hydrater et de s’alimenter mais mes conseils restent sans effet.
Destination : station Weil IV, point L2, orbite haute de Kepler-452b
Cycle : 1441
Équipage : 1
Temi s’est rendue dans sa cabine il y a deux cycles et n’en a pas bougé depuis.
Ses relevés indiquant un risque élevé de déshydratation, j’ai contrevenu à ses ordres et allumé une lumière douce dans sa cabine, puis préparé le petit-déjeuner qu’elle affectionnait jusqu’au cycle 1023. J’ai également diffusé son morceau de musique favori.
Plus lentement que d’habitude, Temi a émergé de sa cabine, les yeux rouges, le teint gris. Elle a grimpé avec difficulté jusqu’au compartiment central, s’est mise debout et, après avoir posé les yeux sur son porridge et la plante en fleurs que j’ai disposée à côté, elle a fondu en larmes.
N’ayant, comme toutes les navigatrices, pas de corps à proprement parler, c’est le seul réconfort physique que je peux lui apporter. Je ne sais pas si cela a vraiment fonctionné.
Puis Temi est venue s’asseoir à table, et a entamé son porridge. Les yeux gonflés, elle a quand même légèrement souri.
« Merci, Irina. »
Tout ira bien.